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C'était sa première fois, il avait toujours été contre, mais Elenn ne lui avait pas laissé le choix cette fois-ci. Elle s'inquiétait pour lui, il le savait bien, mais c'était la dernière chose dont il avait besoin.
C'était glauque, la salle était sombre, on l'avait accueilli avec une poignée de main, quelques formalités et beaucoup de sourires hypocrites. Ayant pris place sur le siège qu'on lui avait attribué, il s'était bien enfoncé dans ce dernier, dos courbé, jambes écartées, mains jointes sur son abdomen, c'est silencieux qu'il attendait.

- « Bonjour à toi Isaac, comment vas-tu ?
 

  Ça va. »

Le vieillard qui depuis le début avait le nez plongé dans sa paperasse releva légèrement la tête, observant le jeune homme par-dessus ses lunettes. Il resta silencieux quelques secondes pour lui laisser une chance d'approfondir sa réponse, mais voyant qu'il n'en avait pas l'intention il inspira bruyamment par la bouche tout en claquant sa langue contre son palais avant de reprendre.

 

- « Je vois, alors dis-moi qu'est-ce que ça te fait d'être ici ? J'imagine que ça ne t'enchante pas trop n'est-ce pas ?

 

   Pas vraiment, non. Je comprends pas pourquoi elle y tient tant. »

Retirant ses lunettes d'un geste vif, le vieillard se leva de son siège en cuir, posant ses deux mains sur le bureau, l'air sévère.

- « Elle t'a récupéré au poste de police Isaac.
 

C'était la première fois.

 

Première ou centième fois un délit reste un délit. »


Bien conscient qu'il avait raison, le jeune homme se contenta de croiser les bras sur son torse, son regard se perdant sur la corbeille à papier à moitié vide. Le vieillard lui soupira, se laissant retomber sur son siège tout en se pinçant l'arrêt du nez. Il avait l'habitude des adolescents en crise, il en avait vu passer des centaines, c'était son métier après tout, mais il avait décidément du mal avec l'insolence.

- « Passons, inutile de revenir sur cet incident tu sais très bien ce que tu as fais. Parlons d'autres problèmes, ta mère m'a dit que tu ne mangeais presque jamais ? Pourquoi cela ?

Elenn, pas ma mère, et puis ça m'intéresse pas, ça prend du temps pour pas grand-chose. Je mange quand je commence à avoir mal à l'estomac, quelque chose de rapide qui prend pas trop de temps à mâcher. 

Je sais que tu as perdu le goût, mais il faut une alimentation saine et variée pour être en bonne santé. »

C'est avec un sourire en coin qu'Isaac daigna enfin regarder le vieillard dans les yeux. Il releva ses deux mains au niveau de ses épaules, haussant ces dernières.

- « Parce que j'ai l'air d'être en bonne santé ? »

Le vieillard prit une profonde inspiration, tapotant la mine de son stylo contre la pile de feuilles soigneusement alignée face à lui, son regard dérivant lentement vers la corbeille à papier à moitié pleine. Il n'était pas à court d'idées, loin de là, il se demandait juste si renchérir sur son état de santé était judicieux ou non. 

- « Tu es à l'université non ? Tu es assidu en cours ? 

Oui, c'est intéressant et ça me change les idées. 

Tu as des amis ? 

Des camarades. 

Une petite amie ? 

Isaac affichant un air de dégoût, le vieillard s'empressa de reformuler. 

- Un petit ami alors ? 

Non, pour quoi faire ? 

C'est dans l'ordre des choses, on trouve quelqu'un pour qui on a de l'attirance, quelqu'un avec qui on forme une famille, quelqu'un avec qui on passe nos vieux jours. 

Ah, si c'est dans l'ordre des choses alors.. »

Il avait laissé s'échapper un léger rire, moqueur ou amusé, impossible de le savoir. 

- « Et en dehors des cours ? Tu as des amis ? Des connaissances ? N'importe quoi. 

Ben le gars de l'épicerie du coin me dit bonjour, pareil pour celui du tabac. 

Tu crois que c'est un jeu ? 

J'en sais rien, c'en est un pour vous ? 

Non Isaac, je suis là pour t'aider. 

Votre aide elle est vachement cher quand même, comment on appelle ça les gens qui dépouille les plus naïfs contre leur aide à deux balles ? »

Sans voix, le vieillard observa le jeune insolent avec des yeux ronds, son regard balayant tous les éléments de la pièce dans l'espoir de trouver quelque chose lui donnant une réponse. 

- « La séance est finie ? 

Je.. 

Merci bien. »

Sans attendre de réponse, il se releva , fourra ses deux mains dans les poches de son sweat, offrit un sourire rayonnant au vieillard, 

- « Bonne journée ! »

avant de sortir, prenant soin de refermer la porte derrière lui. 

I can keep you warm

I can keep you warm

as long as you can just

as long as you can just

try to be brave.

try to be brave.

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Elle avait le sourire aux lèvres, les yeux plissés, animés d'une petite lueur qu'il espérait être une trace de tendresse, d'amour. Lui aussi souriait, la lueur était absente, il était juste épuisé, brisé, machinalement la cuillère plongeait dans le pot de yaourt à moitié vide, n'en prélevant qu'une petite quantité avant de la placer entre les lèvres de la vieille femme qui mangeait silencieusement, forçant un petit rire de temps en à autre. Alors il lui souriait en retour tout en frottant à l'aide de son pouce le yaourt s'étant réfugié au coin de ses lèvres. 

- « Et qu'est-ce que c'est ton petit nom déjà ? 

Isaac.

Isaac ? 

Isaac Foster. »

Elle entre ouvrit les lèvres tout en penchant légèrement la tête en arrière, ses yeux se dirigèrent vers le plafond qu'elle observa alors quelques secondes, avant de reposer son regard vers Isaac, l'air un peu crispé, elle reprit finalement parole.

- « J'ai connu un Foster, oh j'étais jeune et belle. »

 

Dit-elle tout en riant, agitant sa main gauche devant son visage. Isaac l'observa avec un fin sourire aux lèvres, sans aucune joie cela dit. Elle oubliait tout, tout sauf lui, elle lui racontait toujours la même histoire, il la connaissait par cœur, et à chaque fois c'était toujours aussi difficile de l'écouter et de faire comme si tout était normal. Il se leva alors pour jeter le pot de yaourt à présent vide à la poubelle pendant que la vieille femme continuait son histoire d'un ton presque mélancolique. 

- « Oh il était beau lui aussi, on s'est rencontrés à l'école, on a faits les quatre cent coups ensemble, Bonnie et Clyde. On s'est marié, j'avais à peine dix-sept ans et lui venait d'en avoir dix-huit. »

Il était venu se rasseoir à côté d'elle, rapprochant un petit peu plus sa chaise du lit, prenant la main droite de la vieille femme dans la sienne, la caressant de son pouce, l'écoutant d'un air faussement attentif, car il savait très bien ce qu'elle allait dire ensuite.

- « On a eu un enfant, un petit garçon.. Mais il ne l'aimait pas, parce qu'il ne lui ressemblait pas. Mon mari tu vois, il avait la peau couleur cannelle, le petit aussi pâle et blanc que la lune. Alors il est parti, il a été dire à tout le monde que j'avais couché avec tous les hommes du quartier, et que j'ai ensuite enfanté l'avorton. 

Et qu'est-ce que tu as faits de l'avorton? 

J'ai essayé de le tuer, il m'avait gâché la vie, tu comprends? Je ne pouvais même pas le regarder. Tu me comprends n'est-ce pas ? Je ne suis pas une mauvaise femme. 

Non, tu n'es pas mauvaise, ne t'en fais pas. »

D'une main tendre il vint caresser la joue de la vieille femme, plaçant une mèche de cheveux grisée derrière son oreille. Sa poitrine commençait à être douloureuse, il l'aimait, ou du moins il aimerait le croire, mais il n'était pas encore assez fort pour ses histoires.

- « Je vais bientôt devoir partir, les heures de visites se terminent.

Oh mais tu vas revenir ? 

Comme toujours. »

Un dernier sourire, puis il se releva, se saisissant de sa veste qu'il avait auparavant  jetée sur le dossier de sa chaise, l'enfilant sans la fermer. Il se pencha au-dessus de la vieille femme, bordant cette dernière avant de lui embrasser le front. 

« À la semaine prochaine maman.»

I just want to be able

I just want to be able

to close my eyes

to close my eyes

and feel alive.

and feel alive.

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